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Au Burkina Faso, la longue veillée des femmes autour des bornes-fontaines

Chaque nuit, des habitantes de Ouagadougou attendent, avec leurs bidons, que l’eau veuille bien couler des rares robinets installés dans les quartiers périphériques.

Par Sophie Douce (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)

Publié le 17 avril 2018 à 14h36, modifié le 18 avril 2018 à 06h35

Temps de Lecture 3 min.

Des femmes remplissent des bidons à une borne-fontaine du quartier de Zagtouli, en banlieue de Ouagadougou, le 12 avril 2018.

Salmata Kiemdé a les traits tirés. La nuit a été courte. « Je me suis levée à 1 heure du matin pour venir à la fontaine, l’eau arrive vers 2 heures et s’arrête à 6 heures », explique, en langue moré, cette Burkinabée de 40 ans. Tous les jours depuis six ans, elle attend, assise sur la borne-fontaine ou sur une paillasse posée à même le sol, que l’eau coule dans les tuyaux de Zagtouli, dans la banlieue ouest de Ouagadougou.

Dans cette zone dite « non lotie », le sable a remplacé le goudron de la route principale. Les habitations en parpaings et les toits en tôle dominent l’horizon. Ici, à 12 km du centre-ville, pas de réseau d’eau potable ni d’électricité. Les femmes doivent se déplacer chaque jour pour s’approvisionner à l’un des quatre robinets de ce quartier défavorisé.

Ce matin du jeudi 12 avril, il est à peine 5 h 30 et, déjà, une dizaine de femmes se pressent pour remplir leurs bidons avec le filet d’eau qui s’échappe du robinet. « Il faut se dépêcher, ça va bientôt s’arrêter », prévient Noélie Ouédraogo devant une rangée de 50 jerricans pleins à ras bord. A l’horizon, le soleil d’avril, mois durant lequel les températures dépassent régulièrement les 40 °C, commence à pointer. « Je suis venue à 3 heures mais ça ne coulait pas, c’est la deuxième fois que je passe aujourd’hui », dit Rafiatou Sana, 22 ans, en rebouchant ses bidons, son bébé de 4 mois accroché dans le dos. La jeune femme, qui habite à 1 km de la fontaine, repartira en vélo avec ses sept barils.

« Chaque jour, on doit transporter tous ces bidons, c’est fatigant », se plaint Anne Yaméogo, 42 ans, en poussant une lourde charrette qui en contient huit. Elle devra faire deux allers-retours pour rapporter le reste des réserves chez elle avant de commencer sa journée de travail de couturière. « A cause des veillées, j’ai pris du retard dans mes commandes, mais je n’ai pas le choix », indique cette mère de cinq enfants. Sans le précieux liquide, impossible pour ces femmes de boire, cuisiner, laver ou faire la lessive.

« On a peur d’être agressées ou violées »

« Tu peux risquer ta vie pour chercher de l’eau. Certaines marchent plusieurs kilomètres, toutes seules la nuit. Il y a des bandits, des fous, ils nous menacent parfois, nous ordonnent de nous arrêter et de poser nos bidons. On a peur d’être agressées ou violées », confie Anne Yaméogo. A un kilomètre de là, autour d’une borne-fontaine du quartier de Zongo, les visages se ferment en évoquant les risques de ces sorties nocturnes. « C’est dangereux mais on n’a pas le choix : si on ne vient pas, on n’a pas d’eau », lâche Angèle Ouédraogo, 61 ans, qui quitte son domicile chaque jour vers 1 heure du matin. « Nos maris travaillent la journée, donc c’est à nous de venir remplir les bidons pour le foyer. »

Certaines nuits, Salmata Kiemdé dort près de la fontaine à Zagtouli. « Il arrive que le robinet soit à sec pendant plusieurs jours, parfois plusieurs semaines, alors je dois veiller à côté pour guetter l’arrivée de l’eau et remplir vite les barils si ça revient », raconte-t-elle en désignant le petit tapis en paille, sous un abri en bois, qui lui sert de couche pendant les longues coupures. La femme, qui vit seule avec ses huit enfants à environ trente minutes de marche, s’occupe de vendre l’eau aux habitants : 10 francs CFA le bidon de 20 litres. « Mon mari est en Côte d’Ivoire. Je travaille à la borne pour pouvoir nourrir mes enfants », précise Salmata Kiemdé, qui gagne ainsi 15 000 francs CFA (23 euros) par mois.

A Zagtouli, les coupures d’eau rythment désormais le quotidien des résidents. Lasse, la quadragénaire a téléphoné à plusieurs reprises à l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA). « Mais à chaque fois ils me répondent qu’ils ne peuvent rien faire », rapporte-t-elle, exaspérée. A l’ONEA, Patrice Diabri, le directeur de l’exploitation, pointe « une capacité des conduites principales de distribution d’eau devenue insuffisante » et « les changements climatiques » qui assèchent le barrage de Loumbila, d’où provient 30 % de l’eau potable à Ouagadougou. Pour renforcer le réseau, 50 nouveaux forages devraient voir le jour « d’ici le mois de mai » dans les zones périphériques de la capitale, d’après le ministère de l’eau.

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