INEGALITESPlus d'une avocate sur deux déclare avoir été victime de discrimination

Plus d'une avocate sur deux déclare avoir été victime de discrimination dans le cadre de son travail

INEGALITESSelon l’enquête publiée ce mercredi par le Défenseur des droits, 53,3 % des avocates rapportent avoir été confrontées à des discriminations dans leur activité professionnelle au cours des cinq années précédentes…
Une avocate sur deux aurait été victime de discrimination dans l'exercice de sa profession.
Une avocate sur deux aurait été victime de discrimination dans l'exercice de sa profession. - JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • L'enquête sur les «conditions de travail» et les «expériences des discriminations dans la profession d’avocat» en France a été menée entre juin et juillet 2017.
  • 72% des femmes et 47% des hommes avocats rapportent avoir été témoins de discriminations à l’encontre de leurs collègues.
  • 7.138 avocats ont participé à l'enquête.

C’était en 2016. Avant les répercussions internationales provoquées par l’affaire Weinstein, avant le mouvement #Metoo. Lancé par deux avocates sur le modèle du blog « Paye ta Schnek », le site « Paye ta robe » offrait aux internautes une plongée brutale dans le sexisme ordinaire des cabinets d’avocats et des couloirs des tribunaux.

Ce mercredi, une enquête inédite réalisée par le Défenseur des Droits à la demande de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) dresse un premier état des lieux des discriminations subies par les avocates et avocats en France. Loin d’être préservée, cette profession ultra-compétitive et en pleine mutation démographique semble traversée par les mêmes inégalités que l’ensemble de la société.

La « commission bigoudi »

Réalisée entre juin et juillet 2017 auprès de 7.138 avocats, l’étude met en lumière l’exposition des femmes aux discriminations. Selon le document consulté par 20 Minutes, un peu plus d’une avocate sur deux (53,3 %) a été victime d’un comportement inégalitaire au cours des cinq dernières années. Le sexe comme motif de discrimination est, de loin, le plus fréquent (39,3 %) avancé par les participantes, suivi par la maternité pour 19,7 % d’entre elles.

Clotilde Lepetit, avocate pénaliste à Paris, a présidé pendant trois ans la commission « Egalité » au sein du Conseil national des barreaux (CNB). « Au sein même du Conseil, je sais que certains membres avaient surnommé cette instance la 'commission bigoudi', glisse-t-elle, alors que notre profession prétend porter des valeurs sociétales progressistes, je ne suis pas certaine que les avocats le soient véritablement ». Comme de nombreuses femmes, l’éventualité même d’une grossesse lui a été violemment déconseillée : « Au cours d’un entretien d’embauche pour une collaboration, on m’a clairement dit : 'Vous allez forcément faire un bébé dans les six ans à venir, ça ne sera pas tenable pour le cabinet' ».

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Pourtant majoritaires dans la profession (54 % d’avocates contre 46 % d’avocats), les femmes subissent également des écarts de rémunération importants. Plus souvent cantonnées au statut de « collaboratrice », seules 36,9 % des répondantes sont associées d’un cabinet. Enfin, les secteurs les plus rémunérateurs (droit des affaires, droit international, droit fiscal) restent encore l’apanage des hommes.

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« Ca fait partie du jeu »

Si les discriminations liées au genre sont importantes, l’orientation sexuelle et la couleur de peau sont également des facteurs saillants. Ainsi, 68,2 % des femmes noires rapportent avoir été discriminées, quel que soit le motif et 19,3 % des hommes définissant leur sexualité comme homosexuelle ou bisexuelle l’auraient été de ce fait.

C’est le cas de Paul* ; avocat parisien depuis 1992 : « J’ai toujours été ouvertement gay, aussi bien dans ma vie personnelle que professionnelle. Au début de ma carrière, j’évoluais sur le même créneau qu’un confrère et il m’arrivait de récupérer certains de ses clients. Mécontent, il a commencé à diffuser auprès de nos clients communs une rumeur sur ma supposée séropositivité. Il leur disait : 'N’y allez pas ! Vous allez être contaminés !'. Au milieu des années 90, les mécanismes de contamination étaient méconnus du grand public. J’ai laissé dire, je ne me suis tourné vers personne. A l’époque, les organisations professionnelles n’étaient pas du tout concernées par le sujet ».

Plus de vingt après, le barreau de Paris a vu naître la toute première « association Française des Avocats LGBT + ». Son coprésident Florent Berdeaux note une lente évolution des mentalités au sein de la profession : « On parle des discriminations liées à l’orientation sexuelle depuis très peu de temps chez les avocats. Avant, on s’arrangeait, on se disait et on continue parfois de se dire que ça fait partie du jeu et on se construit avec ça, avec cette contrainte-là. Cela reste un petit milieu et c’est très politique ».

Une « volonté institutionnelle »

Une résignation partagée selon l’enquête du Défenseur des droits. 42,1 % des hommes avocats qui rapportent avoir vécu des discriminations et un quart de leurs consœurs n’ont donné aucune suite à ces comportements. La sphère familiale et amicale reste la plus souvent sollicitée dans ces cas précis. Rompus à l’exercice du droit, les avocats et avocates lésées avancent l’inutilité des démarches formelles, l’absence de preuve suffisantes et la « peur des représailles » comme principales raisons de leur inaction.

Un constat « dramatique » pour Benjamin Pitcho, avocat à la Cour et membre du Conseil de l’Ordre. « Il n’y a pas une grande culture de saisine d’instance pour les discriminations. Cette résignation est liée à la dureté du métier, à la très forte compétition du secteur et au statut même de collaborateur. Paris compte environ 30.000 avocats avec des branches très spécifiques qui rassemblent des communautés de 200 ou 300 avocats. Tout le monde se connaît et la peur d’être identifié pèse sur les victimes ».

Pour autant, les institutions semblent progressivement s’emparer du sujet. Valence Borgia a défendu de nombreuses avocates « remerciées » avant ou après leur grossesse, sans motif valable. Elle est aujourd’hui l’un des deux « référents collaborateurs » chargés de faire remonter les cas de harcèlement et de discrimination au sein de la profession. « Il y a une forte volonté institutionnelle notamment de la part des nouveaux bâtonniers de Paris et des mesures courageuses ont été prises. Avec l’union des jeunes avocats, on a également obtenu une modification des textes. Lorsqu’une collaboratrice revient de congé maternité, il est maintenant interdit de mettre fin à son contrat dans les 8 semaines qui suivent », se réjouit-elle.

Pour la pénaliste Clotilde Lepetit, cette prise de conscience est vitale à l’évolution du métier d’avocat : « Il y a une vraie sincérité des institutions à gérer cette problématique. Il y a encore des confrères qui ne veulent pas voir, qui ne veulent pas qu’on en parle, que ça agace. Or aujourd’hui, ce métier manque de diversité, c’est un fait. Si on n’est pas capable de se le dire en face, on ne changera pas ».

*Le prénom a été modifié

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