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Sexisme, différences de salaire : face aux discriminations, des avocates sans défense

Selon l’enquête publiée par le Défenseur des droits, une avocate sur deux affirme avoir été victime de discriminations au moins une fois au cours des cinq dernières années.

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Publié le 02 mai 2018 à 10h38, modifié le 03 mai 2018 à 06h36

Temps de Lecture 5 min.

Les avocats, et en particulier les avocates, seraient-ils les moins armés pour se défendre contre les discriminations et les violations du droit du travail ?

Selon une enquête publiée mercredi 2 mai par le Défenseurs des droits, les trois quarts des avocates rapportent avoir été témoins de discriminations, principalement sexistes, à l’égard d’un ou d’une collègue et une sur deux affirme en avoir été victime au moins une fois au cours des cinq dernières années. Pourtant, moins de 5 % de celles ou de ceux qui ont subi une discrimination ont engagé une démarche pour faire valoir leurs droits. Alors que les témoignages de harcèlement sexuel ou moral, et de rupture de contrat au retour d’un congé maternité sont nombreux.

La nécessité d’une « prise de conscience »

Les discriminations envers les femmes dans cette profession essentiellement exercée sous forme libérale ne sont pas un problème nouveau. La Fédération nationale des unions de jeunes avocats (Fnuja) dénonce depuis de nombreuses années des pratiques discriminatoires. Mais c’est la première fois qu’une étude aussi vaste les mesure.

L’enquête du Défenseur des droits résulte d’un questionnaire rempli par plus de 7 000 avocats, un échantillon représentatif de la profession, qui totalise quelque 65 000 personnes. « Les résultats incontestables de cette enquête permettent d’objectiver le problème, cela doit obliger à une prise de conscience et une réaction de tous », estime Anne-Lise Lebreton, vice-présidente de la Fnuja, qui avait sollicité l’institution présidée par Jacques Toubon pour ce travail.

En matière de rémunération, le seul fait d’être une femme augmente de 40 % la probabilité d’être dans la tranche des revenus professionnels nets la plus basse (inférieure à 17 500 euros par an) et diminue de 60 % celle de figurer dans la tranche la plus élevée (plus de 152 041 euros). « A Paris, les avocates gagnent en moyenne 51 % de moins que les avocats », s’offusque Marie-Aimée Peyron, bâtonnière depuis le 1er janvier, qui avait fait de la lutte pour l’égalité l’un des principaux thèmes de sa campagne avec Basile Ader, vice-bâtonnier.

Regard dévalorisant

Les femmes représentent 54 % de la profession, mais leur proportion n’est que de 37 % parmi les associés des cabinets – le Graal socioprofessionnel « susceptible de conférer légitimité et élévation sociale », selon cette enquête de quarante pages.

Ces inégalités salariales ne sont pas l’apanage de la France, mais elles semblent davantage combattues dans les cabinets anglo-saxons, notamment sous la pression de grands clients de plus en plus soucieux du respect des critères d’égalité et de diversité. Selon l’étude publiée le 24 avril par la revue britannique The Lawyer, les femmes sont en moyenne payées 23 % de moins que les hommes chez Linklaters, cabinet qui se situe dans la moyenne de la centaine qui ont été étudiés, 39 % de moins chez Shearman & Sterling, un des cancres, ou 14 % chez Bird & Bird.

L’enquête française révèle un regard dévalorisant envers les femmes avocates. Par exemple, la moitié travaillant à temps partiel (subi ou choisi) en cabinet ont déjà fait l’objet de remarques du type : « les autres font tout le travail en votre absence », ou « vous avez fait le choix de la famille, vous ne pouvez pas tout avoir ». Seul un avocat sur dix travaillant à temps partiel a subi de tels propos culpabilisants.

Plus généralement, les situations de « dénis de reconnaissance du travail sont très fréquentes » dans cette profession, note le Défenseur des droits : 58 % des femmes disent que l’« on a dévalorisé injustement [leur] travail » et 48 % qu’on les a chargées « de tâches perçues comme ingrates ou dévalorisantes », tandis que respectivement 45 % et 32 % des hommes disent avoir subi la même situation.

« Historiquement une profession masculine »

Quant aux discriminations à proprement parler (en raison du sexe, de la maternité, de l’origine, de la religion, etc.), 53 % des femmes disent en avoir été victimes au cours des cinq dernières années, contre 21 % des hommes.

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Par rapport aux études comparables menées auprès de l’ensemble des actifs occupés, les femmes seraient plus touchées dans l’avocature qu’ailleurs, tandis que les hommes y seraient au contraire mieux protégés. Laurence Roques, présidente du Syndicat des avocats de France, y voit le fait que c’est « historiquement une profession masculine », même si cela fait des années que ce n’est plus le cas.

Les seuls cas où les inégalités entre les deux sexes se réduisent sont les discriminations liées à l’origine ou à la religion. Mais cela révèle le niveau inquiétant du racisme et de l’islamophobie : 75 % des avocates perçues comme arabes (63 % des avocats) disent en avoir été victimes, comme 68 % des avocates perçues comme noires (61 % des avocats) et 72 % des musulmanes (57 % des avocats).

L’étude bat en brèche l’idée reçue selon laquelle Paris, qui concentre près de la moitié des avocats du pays, serait moins misogyne que la province. Le fait d’être avocate dans la capitale augmente de 30 % la probabilité d’être touchée par un comportement discriminatoire, quel qu’il soit !

Peur des représailles

Le plus étonnant est que seuls 4,8 % des avocats et 4,7 % des avocates ont cherché à faire reconnaître la discrimination qu’ils ont subie et seuls 16 % des premiers 18 % des secondes ont protesté sur le moment. Une résignation que le Défenseur des droits explique par la peur des représailles et un manque de confiance dans l’ordre des avocats.

C’est le combat que souhaite mener Marie-Aimée Peyron. « Si moi, troisième femme bâtonnier de Paris, je ne parviens pas à éradiquer le problème, alors ce sera désespéré », affirme-t-elle. Elle n’en revient pas d’avoir été « interpellée pendant [sa] campagne électorale par des jeunes femmes qui ne voulaient pas donner le nom de leur cabinet ».

Aussi a-t-elle fait voter dès janvier par le conseil de l’ordre l’inscription au règlement du barreau des agissements sexistes parmi ceux qui constituent un manquement professionnel. Surtout, l’instance professionnelle peut désormais ouvrir une enquête déontologique sur un cabinet sur la base d’une dénonciation anonyme, puis lancer une procédure de sanction.

Une seule sanction prononcée

Le barreau de Paris vient de se doter d’une batterie de mesures, notamment pour aider les petits cabinets, qui peuvent être plus fragiles face à une grossesse, en mettant en place une avance de trésorerie et un pool d’avocats remplaçants.

Pour promouvoir les bonnes pratiques, des « trophées de l’égalité » seront remis à des cabinets lors des assises de l’égalité que le barreau de Paris tiendra le 28 juin. Surtout, pour éradiquer les mauvais comportements, la bâtonnière en appelle « à des sanctions exemplaires ». A ce jour, une seule a été prononcée. C’était en 2016.

Pour montrer que toute la profession prend le sujet au sérieux, Jacques Toubon devait être entouré, lors de la présentation de l’enquête, mercredi, par Mme Peyron, Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, et Jérôme Gavaudan, président de la Conférence nationale des bâtonniers.

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