Bonnes sœurs et féministes : rencontre avec huit femmes “Debouttes”

Dans son premier long métrage documentaire en tournage jusqu’à l’automne prochain, Maxime Faure dresse le portrait de huit bonnes sœurs qui luttent au quotidien pour les droits des femmes. Des sœurs, fortes et libres, qui le bouleversent.

Par François Ekchajzer

Publié le 03 mai 2018 à 15h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h25

Cest en filmant ses petites sœurs dans les champs de maïs de leur Bretagne natale que Maxime Faure (28 ans) a vu naître sa vocation pour le documentaire. Lui qui rêva, enfant, de reprendre la ferme du voisin, renonça à devenir agriculteur à l’âge de 10 ans, lorsque partit pour l’abattoir sa vache préférée, jugée plus assez productive.

C’est à travers le portrait d’une jeune Ukrainienne, que Maxime Faure a fait parler de lui pour la première fois : Dana, étudiante en architecture dont il a fait le sujet d’Intranquille, documentaire de cinq minutes primé en 2016 au concours Infracourts de France Télévisions. Dana figure aussi – avec la Française Pauline et l’Anglaise Felicia – dans la série de films courts Nous autres, qui marient joliment montages photographiques et témoignages sonores.

C’est à travers le portrait de huit femmes que Maxime Faure pourrait prochainement se faire connaître d’un plus large public. Huit femmes de conviction, membres d’une communauté catholique à Montréal, « héroïnes » de son premier long métrage documentaire, actuellement en tournage. Huit femmes, qui étaient dix quand il a fait leur connaissance et dont l’âge moyen est le triple du sien.

”J’ai chialé en voyant Sœur Simonne – tout le portrait de ma grand-mère Odette…”, Maxime Faure 

« Fin 2013, se souvient Maxime Faure, je travaille au Québec pour un organisme de théâtre participatif dont je filme les interventions, lorsqu’une travailleuse sociale attire mon attention. Soixante-dix ans, cheveux blancs, jean, baskets… lumineuse ! Une collègue me voit la regarder et me dit : “C’est une bonne sœur et elle est féministe.” Ni une ni deux, je vais la voir. On échange nos courriels. Elle s’appelle Nicole, assure la fonction d’économe dans sa communauté ignatienne (“In actione contemplativus”) et me donne rendez-vous chez elle, au quinzième étage d’une immense tour de béton du quartier gaide Montréal, le 14 février 2014 – jour anniversaire de la mort de ma grand-mère ! » 

Un signe du destin, pour ce rejeton d’une famille dans laquelle les femmes ne manquaient pas de caractère. « Des protestantes, qui pratiquaient le culte avec une grande liberté. Ma mère s’est fait baptiser à l’âge de 45 ans. Je l’ai vue batailler contre le maire du fief catholique dans lequel nous vivions, pour créer la première école publique du village. Alors, quand sœur Nicole m’a donné rendez-vous le 14 février à 14 heures, j’y suis allé le cœur en liesse. Et j’ai chialé en voyant Sœur Simonne – tout le portrait de ma grand-mère Odette ! En voyant sa photo, ma mère n’en est pas revenue. »

“Sœur Nicole dit même ne pas vouloir de cérémonie religieuse après sa mort, si c’est un homme qui doit célébrer l’eucharistie”, Maxime Faure

Du caractère, elles en ont, ces femmes que Maxime Faure apprend à mieux connaître depuis plus de quatre ans. Engagées dans la vie civile, dans le travail comme en faveur de l’avortement, de la contraception, du droit des femmes jusqu’au sein de l’Eglise, dont elle n’acceptent pas qu’elle se conforme à un modèle patriarcal d’un autre temps. « Certaines vont toujours à la messe, explique le jeune réalisateur. D’autres refusent d’assister à des offices assurés par des hommes. Sœur Nicole dit même ne pas vouloir de cérémonie religieuse après sa mort, si c’est un homme qui doit célébrer l’eucharistie. »

Comment rester dans une institution sexiste, quand on a foi dans un principe d’égalité, s’interroge Maxime Faure. Les sœurs lui ont confié leur décision de ne plus accueillir de nouvelles vocations et d’accepter la disparition de leur communauté, conscientes des impasses et des insuffisances du combat qu’elles auront mené. « En 2030, annoncent-elles, on n’existera plus. Mais faire communauté peut passer par d’autres voies, comme le dit sœur Gisèle, pour qui l’Esprit Saint est assez créatif. »

Depuis les hauteurs de son appartement, Sœur Aline contemple le coucher du soleil sur le Mont-Royal.

Depuis les hauteurs de son appartement, Sœur Aline contemple le coucher du soleil sur le Mont-Royal. Films du Balibari

Après les avoir côtoyées, les avoir questionnées, s’être lui-même interrogé, et avoir renforcé et affiné à leur contact son désir de film, Maxime Faure a commencé à tourner en août 2015. « Le deuxième jour, mon matériel sonore s’est révélé insuffisant. J’ai enfourché mon vélo et suis allé acheter un meilleur équipement. Rentrant du magasin, un voiture m’a chopé et traîné sur la route : double fracture. Tous les jours, je pleurais, pensant au film qui me filait entre les pattes. Mais j’ai passé du temps chez les sœurs, avec mon plâtre et mes béquilles, et cela nous a encore plus soudés. »

A quelque chose, malheur est bon. Bénéficiant du retard pris par son projet, c’est aujourd’hui pour France 2 (et sa case documentaire 25 nuances de docs) et Radio-Canada, que Maxime Faure tourne jusqu’à l’automne Debouttes, dont le titre emprunte à un mot québécois désignant la posture d’une femme debout, le poing levé. « Quand elles m’ont vu arriver avec ma petite caméra et mon petit micro, elles étaient loin d’imaginer dans quoi on s’embarquait. Maintenant que de grandes chaînes nous suivent, qu’une chef op’ m’a rejoint et que le film prend une autre dimension, elles mesurent ce qu’il pourrait induire comme effets sur la vie de leur communauté et laisser derrière elles, après qu’elles auront disparu. » Debouttes aurait ainsi valeur de testament, tout en exprimant le point de vue d’un jeune homme sur ces femmes dignes et fortes, qui pourraient être ses grands-mères.

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus