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En Tanzanie, les Masai sont rejetés hors de leurs terres au nom de la protection de la nature

Un rapport du Oakland Institute dénonce des intimidations envers les éleveurs qui pâtissent de conflits fonciers et doivent céder la place aux touristes et aux chasseurs.

Par  (Nairobi, correspondance)

Publié le 10 mai 2018 à 06h37, modifié le 11 mai 2018 à 10h49

Temps de Lecture 3 min.

Des Masai sur la partie assèchée du lac Manyara, dans le nord de la Tanzanie.

La région du Serengeti, au nord de la Tanzanie, est mondialement connue pour la richesse de sa faune sauvage, qui attire chaque année des milliers de touristes et de chasseurs. Cette terre est également, depuis toujours, celle des Masai, non moins célèbres éleveurs semi-nomades qui vivent entre le Kenya et la Tanzanie.

Dans son rapport « Perdre le Serengeti, la terre masai qui devait durer pour toujours », publié jeudi 10 mai, le Oakland Institute s’alarme des conflits générés par la compétition autour de l’usage de cette vaste plaine. Le think-tank californien, qui travaille notamment sur les conflits fonciers, a conduit des recherches pendant trois ans dans la zone de Loliondo, dans le nord-est du Serengeti.

Sa conclusion : un long processus entamé à l’époque coloniale a provoqué une limitation drastique des terrains accessibles aux Masai. Cette tendance a été renforcée par le tourisme, avec le développement d’aires protégées (le parc national du Serengeti n’est plus habitable depuis les années 1950), de zones réservées aux safaris ou aux lodges, contrôlées par l’Etat ou par des sociétés privées, ce qui ne laisse plus assez de surface aux Masai pour faire paître leurs troupeaux ou cultiver la terre.

La faim, les maladies, un climat de peur

« L’accès à leur terre ancestrale rétrécit encore et encore, au lieu que leurs droits sur elle soient reconnus par le cadre légal », déplore la fondatrice et directrice exécutive du Oakland Institute, Anuradha Mittal. Elle souligne par ailleurs que les conséquences de ce processus sont « la faim, les maladies mais aussi l’instauration d’un climat de peur » au sein des villages dans lesquels les membres d’Oakland Institute se sont rendus, en raison des conflits générés par l’usage des terres.

Le rapport dénonce ainsi des menaces et des brutalités dont les Masai ont fait l’objet ces dernières années à Loliondo. Le dernier événement recensé date d’août 2017 : plus de 180 bomas (maisons traditionnelles) ont été détruites, des milliers de villageois déplacés et d’importantes pertes constatées au sein des cheptels.

« Dans un communiqué, le ministère [tanzanien] du tourisme a indiqué que ces bomas avaient été brûlées sur ordre du gouvernement dans le but de préserver les écosystèmes de la région et attirer plus de touristes. Il menaçait aussi ceux qui tentent de résister à travers des actions légales », indiquent les auteurs. Souvent, en effet, les communautés masai continuent de vivre ou de passer sur des terrains – rarement balisés – dont ils contestent la propriété. Ces conflits sont aggravés par les lacunes du droit foncier et débouchent parfois sur de longues batailles judiciaires.

Deux exemples sont mis en avant par le think-tank. Le premier oppose des villages masai à Tanzania Conservation Limited (TCL), une société spécialisée dans l’écotourisme, opérant sur 5 100 hectares et détenue par les propriétaires du voyagiste américain Thomson Safaris ; le deuxième à une société contrôlée depuis les Emirats arabes unis, Ortello Business Corporation (OBC), qui utilise un terrain de plus de 150 000 hectares pour des chasses.

« Une problématique mondiale »

Après des conflits, des Masai avaient intenté puis perdu en 2015 un procès contre TCL. Ils ont fait appel début 2017 et la procédure est toujours en cours. Contacté par Le Monde, Thomson Safaris déplore de son côté « d’horribles accusations qui ne font aucun sens et sont tout simplement fausses ».

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La situation est légèrement différente quant à la zone de chasse émiratie. Là aussi, une action en justice avait été lancée par des organisations de la société civile, en 2010 – elle n’a jamais abouti. Mais, après une décision de la Commission tanzanienne pour les droits de l’homme, le gouvernement a décidé, en novembre 2017, de supprimer la licence d’OBC, vieille de vingt-cinq ans. Oakland Institute est cependant loin de considérer ce cas « résolu » : non seulement, selon le think-tank californien, « des chasses étaient toujours observées dans cette zone en mars », mais ce retrait de licence ne signifie pas que les Masai pourront de nouveau y accéder.

« Notre objectif n’est en aucun cas de diffamer ni le gouvernement ni des entreprises spécifiques, mais juste de mettre en lumière que des communautés locales sont repoussées en dehors de leurs terres au nom de la protection de la nature », souligne Anuradha Mittal, pour qui ces exemples doivent servir de réflexion sur une « problématique mondiale ».

« Il ne s’agit pas d’interdire le tourisme. Mais ce dernier doit pouvoir s’exercer avec respect envers les populations qui habitent ces zones depuis toujours », poursuit cette analyste. Oakland Institute appelle tout d’abord le gouvernement tanzanien à agir « en arrêtant au plus vite les arrestations et les violences ». Contacté, le ministère du tourisme n’a pas répondu à nos sollicitations. Oakland Institute souligne aussi que, outre les recours judiciaires, « des solutions gagnant-gagnant existent en Tanzanie », citant les certificats de droits coutumiers d’occupation (CCROs), un système d’accès aux terres qui a déjà bénéficié à des communautés ailleurs dans le pays.

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