Soudan

Soudan: Noura Hussein, condamnée à mort pour avoir tué son violeur

La peine capitale a été prononcée jeudi contre cette Soudanaise de 19 ans, mariée de force deux ans plus tôt. Une campagne internationale a été lancée pour la soutenir.
par Célian Macé
publié le 15 mai 2018 à 7h38

D'une victime, la justice soudanaise vient de faire une coupable. Noura Hussein, 19 ans, a été condamnée à mort par pendaison, jeudi, par un tribunal de Khartoum, pour avoir tué son mari, Abdel Rahmane Hammad, le 3 mai 2017. La veille, l'homme l'avait violée, «avec l'aide de deux de ses frères et un cousin qui la maintenaient au sol», a décrit l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International. Quand il a voulu recommencer le jour suivant, Noura Hussein «a réussi à s'échapper dans la cuisine, où elle a attrapé un couteau». C'est avec cette arme qu'elle a frappé celui qu'on l'avait forcée à épouser, deux ans auparavant, et chez qui elle venait d'être contrainte de déménager après avoir terminé ses études secondaires.

Noura Hussein s'est ensuite réfugiée chez son père, qui l'a lui-même remise à la police. La jeune femme a été déclarée coupable d'«homicide volontaire» en juillet. Jeudi, la famille du mari a refusé le versement d'une compensation financière (diyah), une possibilité prévue par la charia, et a applaudi la condamnation de Noura à la peine capitale. Ses avocats ont deux semaines pour faire appel. Ils devraient invoquer la légitime défense «en cas de danger de viol» prévue par l'article 12.4 du code pénal soudanais.

Définition du viol

D'un strict point de vue juridique, c'est la définition du viol par la loi qui est soulevée dans le cas de Noura Hussein. Jusqu'en 2015, le violeur était décrit, dans l'article 149 du même code, comme «quiconque a un rapport sexuel, par adultère, ou sodomie, avec une personne sans son consentement». La notion d'adultère excluait de fait le viol commis par un mari sur son épouse. Mais l'article 149 a été réécrit il y a trois ans. La définition du viol a été élargie à «quiconque a un contact sexuel, en pénétrant par un organe sexuel, un objet ou une partie du corps, le vagin ou l'anus de la victime par la force, l'intimidation, la coercition par la peur ou l'utilisation de la violence, la détention, la persécution psychologique […]». Il n'est plus question d'adultère ni de sodomie.

Noura Hussein était donc bien en situation de légitime défense, même sur le strict plan du droit, expliquent ses défenseurs. «Dans son cas, la nouvelle loi prévoit aussi un abus de pouvoir et un élément d'âge, car Noura était une adolescente, bien plus jeune que son mari [de 31 ans], ajoute Walaa Salad, une juriste soudanaise interrogée par le site 7DNews. Cela fait trois ans que les amendements à l'article 149 ont été votés. Ces changements importants sur un sujet aussi sensible que le viol requièrent une formation des juges et des magistrats. Mais trois années sont un délai suffisant pour adapter la pratique judiciaire et traiter ce genre d'affaires.»

Pétition en ligne

«Le problème n'est pas la législation, bien que le code soudanais ne soit pas ce qu'on fait de mieux en matière de droits humains. Le viol conjugal est reconnu depuis quelques années, et la loi prévoit qu'un mariage au Soudan, s'il est possible dès la puberté, requiert le consentement de l'épouse, précise Sodfa Daaji, présidente du comité genre et égalité à l'Afrika Youth Movement. Le problème est donc au niveau de la justice, parce qu'elle n'a pas reconnu le viol conjugal dans le cas de Noura, ni son mariage forcé.»

Une campagne mondiale de soutien à Noura Hussein a été lancée ces derniers jours. Plusieurs agences onusiennes ont appelé les autorités soudanaises à «la clémence», tandis qu'une pétition en ligne avait déjà recueilli 375 000 signatures ce lundi. «Honnêtement, nous ne savons pas si nous allons attirer l'attention du président soudanais [Omar el-Béchir, ndlr]. Il se fiche de l'Occident, donc notre action est toujours en cours : nous essayons d'impliquer les médias africains, arabes, les politiciens, et l'Union africaine», explique Sodfa Daaji. Le Soudan est classé à la 165place sur 188 sur l'échelle de l'égalité de genre dans le monde, selon l'indice créé par les Nations unies.

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