Humaniser la prise en charge des femmes enceintes et les accouchements en milieu hospitalier

Dans un mémorandum déposé ce vendredi, 18 mai 2018, le collectif pour une prise en charge humanisée des femmes enceintes et des accouchements (Collectif PEHFA) a laissé éclater sa colère : « Avec un taux de mortalité maternelle de 679 décès pour 100 000 naissances vivantes , donner la vie pour une femme guinéenne comporte presque autant de risques que de perdre la sienne », s’inquiètent ces femmes.

« Parmi tous les cas, il y en a un devenu emblématique et qui défraie la chronique. C’est celui du Professeur Telly Sy, médecin gynécologue exerçant entre autres à la Clinique Médicis sise à Lambanyi, Commune de Ratoma. Les témoignages le mettant en cause pour « négligence extrême », « mépris », « arrogance », « comportements anti-professionnels », sont légion », ont-elle rappelé dans ce document.

Guineematin.com vous propose, ci-dessous, l’intégralité de ce mémorandum :

MÉMORANDUM

À l’attention de : Ministre de la Santé, République de Guinée

CC : Ministre de la Justice, Garde des Sceaux ; Ministre de l’Action Sociale et de la promotion féminine ; Assemblée nationale, Conseil Ordre des Médecins, Services spéciaux de lutte contre la drogue et le crime organisé.

De la part de : « Collectif pour une prise en charge humanisée des femmes enceintes et des accouchements (Collectif PEHFA)

Date : Conakry, 18 mai 2018

Objet : humaniser la prise en charge des femmes enceintes et les accouchements en milieu hospitalier

La situation catastrophique de la prise en charge des femmes enceintes et des accouchements dans les structures de santé publiques et privées de notre pays appelle à une action urgente pour réduire la mortalité maternelle et néo-natale et mettre un terme à la souffrance physique et psychologique de ces femmes et de leurs proches. Avec un taux de mortalité maternelle de 679 décès pour 100 000 naissances vivantes[1], donner la vie pour une femme guinéenne comporte presque autant de risques que de perdre la sienne.

Au-delà des chiffres, pour mesurer le degré des dysfonctionnements de cette prise en charge des femmes enceintes, il suffit de se rendre dans les quelques maternités publiques et privées et d’écouter les témoignages des victimes. On est tout de suite saisi d’effroi par les conditions inhumaines dans lesquelles accouchent les femmes, la négligence et le cynisme de certains médecins, y compris parmi ceux qui sont supposés être les plus qualifiés.

Parmi tous les cas, il y en a un devenu emblématique et qui défraie la chronique. C’est celui du Professeur Telly Sy, médecin gynécologue exerçant entre autres à la Clinique Médicis sise à Lambanyi, Commune de Ratoma. Les témoignages le mettant en cause pour « négligence extrême », « mépris », « arrogance », « comportements anti-professionnels », sont légion.

  • Le dernier cas répertorié en date est celui de Mme Guissé. Cette femme suivie par Professeur Sy depuis le début de sa grossesse, a accouché dans sa clinique le samedi 5 mai dernier dans des conditions chaotiques. Elle attendait des triplés selon ce que le Professeur lui a toujours dit. Mais quelle fut leur surprise, elle et son mari, de découvrir un quatrième bébé à l’accouchement. L’équipe de prise en charge de Mme Guissé n’était composée que de deux agents (dont on ignore le statut) pour un accouchement de quadruplés ! Pire, informé de la complication de l’opération, Professeur Telly Sy n’a pas daigné faire le déplacement bien qu’habitant une maison qui jouxte sa clinique.

La suite de l’accouchement est encore plus dramatique. Les quatre bébés sont arrivés prématurés et devaient être immédiatement placés dans des couveuses ; des équipements indisponibles à la clinique Médicis. C’est transporté dans la voiture personnelle du père (alors qu’une ambulance était garée dans la cour de la Clinique) que les bébés en vie sont arrivés à Donka, à l’Institut de Nutrition et de Santé de l’Entant (INSE) censé être mieux équipé. Malheureusement, il n’y avait pas suffisamment d’oxygène, ni des couveuses adaptées et des produits d’alimentation et de réanimation. Ce qui a conduit au décès des quatre nouveau-nés entre dimanche et lundi, plongeant le couple Guissé dans une détresse innommable.

  • Un autre cas concernant toujours le Professeur Telly Sy est celui très connu de Mme Sylla Dienabou Diallo. Suivie à la Clinique Médicis par le Prof. Sy, elle attendait des jumeaux. Son accouchement, le 1er octobre 2017, fut un cauchemar. Mme Sylla décrit une délivrance dans la douleur et quasiment « sous la torture » de ceux qui étaient chargés de l’accoucher. Alerté, là également le Professeur Sy avait refusé d’assister à l’accouchement prétextant être fatigué pour avoir longtemps travaillé ailleurs, en dehors de la clinique. Impuissant, livré à lui-même, le couple Sylla a perdu ses deux jumeaux faute d’assistance et de prise en charge adéquate. Ce cas a connu des suites judiciaires encore en cours, le couple ayant décidé de faire appel de la décision rendue par le tribunal.
  • Un troisième et dernier cas (pour sortir de cette statistique macabre) concerne une femme qui devait accoucher à la Clinique Médicis le 12 février 2017. Le 8 février, elle a eu des contractions et s’est immédiatement rendue chez le Prof. Sy. Elle a été prise en charge par manifestement une femme stagiaire qu’elle voyait pour la première fois. Comme pour les autres cas, le Professeur Telly, sollicité au téléphone pour venir au secours, a dédaigneusement refusé de se présenter. La dame a mis au monde un bébé « blanc comme une feuille de papier » ne pesant que quelques grammes. Sans aide, elle a décidé d’elle-même d’aller voir un autre pédiatre qui a établi un diagnostic terrible: le bébé est atteint d’hypertonie musculaire et d’un retard psychomoteur. Ce bébé a survécu mais traine aujourd’hui un lourd handicap moteur. Ses parents n’ont jamais été prévenus de quoi que ce soit durant les 9 mois de grossesse suivis à la Clinque Médicis.

Ces différents témoignages (il y en a des dizaines d’autres) sont suffisamment graves pour déclencher immédiatement une inspection sérieuse de la Clinique Médicis et de procéder à l’audition du Professeur Sy.

Il ressort clairement que ce dernier a délibérément violé le Serment d’Hippocrate en abandonnant ses patientes entre les mains d’une équipe insuffisante et incompétente par négligence ou par mépris. Les diagnostics sont également mal posés, sinon comment comprendre la non-détection de toutes ces anomalies durant les nombreux mois de grossesse ?

L’exemple de la Clinique Médicis est emblématique du délitement de notre système de santé en particulier la santé maternelle et infantile. Les services de santé sont « marchandisés » par des médecins devenus « commerçants » dans le secteur; dans les maternités les femmes en grossesses sont humiliées avec des propos dégradants, voire des gifles et sont soumises à des accouchements aux forceps. Et on ferme les yeux sur les nombreuses « erreurs » médicales entrainant des décès ou des handicaps à vie.

Voilà pourquoi tous les indicateurs de notre système de santé sont au rouge plaçant ainsi notre pays en queue de peloton dans les classements réguliers des institutions internationales, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pour corriger ces dysfonctionnements, nous proposons quelques mesures à prendre afin d’humaniser la prise en charge des femmes enceintes et les accouchements en milieu hospitalier.

Mesures à prendre immédiatement et à court terme

  • Déclencher immédiatement une inspection approfondie de la Clinique Médicis afin de déterminer si elle est conforme aux règles et si elle dispose des équipements nécessaires d’une clinique ayant la prétention des services annoncés; (une pétition en ligne visant la fermeture de la clinique a récolté plus d’un millier de signatures);
  • Procéder à l’audition du Professeur Telly Sy par le Conseil de l’Ordre des médecins pour qu’il réponde des accusations dont il fait l’objet et de s’assurer du respect ou non du Sermon d’Hippocrate de sa part;
  • Renforcer et durcir les contrôles d’inspection de l’ensemble de structures de santé et des médecins gynécologues et obstétriciens afin de faire le tri de ceux qui font bien ou mal leur travail ;
  • Procéder à la fermeture immédiate de toute maternité ne répondant pas aux normes sanitaires et matérielles;
  • Exiger que toute maternité dispose d’un service pédiatrique avec au minimum un pédiatre qualifié et disponible;
  • Exiger que toutes les maternités en centre urbain soient équipées d’au moins deux salles d’accouchement opérationnelles et aux normes, des couveuses fonctionnelles, des tables de réanimation pédiatriques, d’au moins une ambulance et chauffeur disponibles 7/7, 24/24.
  • Imposer un contrôle strict et rigoureux de la charge de travail des médecins pour éviter la fatigue et le surmenage, source de multiples erreurs médicales graves ;

Mesures à prendre à moyen et long termes

  • Améliorer les services publics en matière de prise en charge des femmes enceintes : équiper notamment l’INSE en couveuses électroniques en nombre suffisant; veiller à la disponibilité permanente d’oxygène et de tout autre matériel et produit nécessaires à la prise en charge des nouveau-nés avec des complications ;
  • Décourager la « marchandisation » effrénée des services de santé qui consiste pour les médecins à ouvrir des cliniques à tout va qu’ils cumulent à des prestations dans le public. Cette pratique siphonne non seulement les épargnes des ménages à la recherche du meilleur service, mais elle accroît aussi artificiellement les inégalités sociales ;
  • Au public comme au privé, veiller à la mise en place des tarifs de consultations harmonisés et suffisamment connus des patients pour éviter les abus auxquels se livrent plusieurs médecins qui fixent unilatéralement des prix souvent à la tête du client ;
  • Mettre en place un numéro vert (ou un service équivalent) pour recueillir des témoignages des victimes d’abus ou d’erreurs médicales et par la même occasion encourager et accompagner les victimes à saisir la justice pour celles qui le désirent ;
  • Augmenter la part du Budget National allouée à la Santé afin d’inverser la tendance actuelle et combler le désert médical en milieu rural en matière de santé maternelle et infantile;

Conclusion

La vie est sacrée, les femmes qui la donnent méritent mieux en terme de traitement et de prise en charge. Nous sommes convaincus que la mise en œuvre rapide des mesures proposées ci-haut contribuera à améliorer sensiblement la santé maternelle et infantile, à rendre justice et surtout à sauver des vies. Nous sommes conscients que certains dysfonctionnements évoqués sont d’ordre structurel et demandent du temps et des financements conséquents pour leur redressement. Mais les pratiques inhumaines, dégradantes anti-professionnelles doivent cesser immédiatement ne serait-ce que pour la dignité humaine. Nous sommes convaincus de la volonté affichée du ministre de la santé et de ses services d’améliorer notre système de santé.

Nous espérons que ce Mémorandum ne restera pas lettre morte et connaîtra une suite positive pour la dignité humaine.

Le Collectif PEHFA

[1]  INS : Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples (EDS-MICS).

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