Il y a quelques jours un panel de stars digne d'un tapis du rouge du festival de Cannes - ou presque - prenait la peine, dans un petit clip de 30 secondes de marteler aux femmes qu'une visite une fois par an chez le-la gynéco s'imposait pour éviter les cancers gynécologiques. Immédiatement, ce message assénée d'un ton légèrement méprisant "Allez, on fait pas les flemmardes", m'a semblé louche (sans parler du facepalm géant occasionné par ce très joli titre choisi par l'AFP).
Ensuite j'ai lu cet excellent article de Sophie Gourion qui rappelle que les recommandations de la Haute Autorité de Santé sont les suivantes : en l'absence de symptômes, un frottis de dépistage tous les 3 ans suffit (après 2 frottis normaux réalisés à 1 an d'intervalle) entre 25 et 65 ans. Et je suis tombée sur cette phrase du merveilleux docteur Winckler ❤: "Cette injonction laisse entendre que ne pas aller consulter un médecin périodiquement est, au minimum, une erreur ; au maximum, un comportement inconscient ou insensé."
Bref cette campagne, sous couvert de protéger les femmes d'un danger, est sexiste. J'ai voulu trouver une Copine d'Avant qui réponde à cette polémique, une proto-gynécologue capable d'apporter un éclairage historique à ce paternalisme écrasant de tout son poids tout ce qui concerne de près ou de loin la santé de nos vagins.
Je me suis souvenue d'une femme gynéco que j'avais croisée autour de la table de la Dinner Party de Judy Chicago - que j'ai eu la chance de voir un beau jour de l'été 2015 au Brooklyn Museum et qui est la source d'à peu près tout ce que je fais, depuis. Cette femme s'appelle Trotula de Salerne. Elle est née autour de l'an Mil ce qui a fait s'exclamer à ma rédactrice en chef au HuffPost: ça va être pratique pour l'illustration. Désolée pour ça.
Un premier coup d'oeil à la page Wikipedia de Trotula de Salerne permet de se rendre compte que son existence même n'est pas si évidente. On lui a attribué l'écriture, en latin, du tout premier traité de gynécologie de l'histoire, "De passionibus mulierum curandarum", qui a été LE texte de référence concernant les menstruations et les grossesses pendant plusieurs siècles. Y sont décrits des remèdes, relevant pour certains de l'anatomie (comment réparer un périnée abîmé après un accouchement. MERCI), pour d'autres de la superstition (avaler un caillou trouvé dans un nid d'hirondelles pour prévenir les douleurs de l'accouchement. Moi je dis que dans le doute, ça se tente.) Au fil de l'histoire, ce manuscrit, ainsi que des dizaines d'autres datant de la même période, lui ont été attribués, puis désattribués, puis ré-attribués, et elle a été considérée comme un symbole de "l'effet Matilda", qui consiste en une minimisation systémique de toute découverte scientifique faite par une femme, souvent au bénéfice d'un collègue masculin.
En creusant un peu plus, je suis tombée sur une véritable geek de Trotula de Salerne, une historienne américaine nommée Monica Green qui a entrepris de traduire l'ensemble des écrits rassemblé sous le nom de "Trotula". C'est passionnant, ce qu'a découvert Monica Green. Il y avait à Salerne, au 12e siècle, de nombreuses femmes exerçant le métier de gynécologue et de guérisseuse. Et il y avait à Salerne aussi beaucoup de femmes nommées "Trota". Et le mot "Trotula" a fini par désigner le texte mentionné plus haut, ainsi que deux autres textes concernant des onguents et des soins cosmétiques destinés aux femmes. On attribua par la suite à "Trotula de Salerno" un job de prof à la faculté de médecine, alors qu'en réalité, il n'y avait pas de faculté de médecine à Salerne au 12e siècle.
Trotula de Salerno, qu'elle soit un véritable personnage historique ou un mythe né de l'accumulation de différents destins, est en tous cas le symbole de quelque chose. Elle nous raconte, tout comme sa consœur Hildegarde de Bingen un temps où certaines femmes de l'élite, ultra privilégiées, pouvaient accéder au savoir et à l'exercice de la médecine. A condition de prendre le voile. C'est à dire d'entrer au couvent pour échapper au mariage et pouvoir pousser leurs études le plus loin possible. C'est pourquoi leurs écrits sont souvent habités d'une certaine forme de mysticisme.
Mais elle raconte aussi autre chose, Trotula. Elle raconte comment, pendant tout le Moyen-Age, puis à la Renaissance, avec la création de l'Université, lieu formellement interdit aux femmes jusqu'au début du 20ème siècle, et les procès en sorcellerie, qui visaient bien souvent des guérisseuses et sages-femmes dans les campagnes, un certain nombre d'écrits et de savoirs médicaux attribués aux femmes ont peu à peu glissé vers des mains masculines. Comme l'explique Monica Green dans son ouvrage "La médecine des femmes devenue masculine": "Si au début de la période, les femmes sont considérées comme ayant un savoir d'autorité sur la santé des femmes (...), à la fin de celle-ci, être une femme ne fait pas de vous quelqu'un de plus qualifié pour comprendre ou traiter les conditions affectant le sexe féminin. Ceci explique l'exclusion des femmes de la production des connaissances concernant leur propre corps, qui se poursuit encore aujourd'hui."
Que notre Trotula existe ou non, elle symbolise la perte totale de connexion des femmes avec leur vagin et leur utérus. Elle rappelle ce moment de basculement où l'on a privé les femmes de l'accès à leur propre corps. Heureusement que certaines se battent aujourd'hui pour le récupérer, je pense à la juriste et militante Marie-Hélène Lahaye ou aux fondatrices des éditions Hors d'Atteinte qui sont en train de rééditer le livre "Notre Corps nous-mêmes", reprenant un travail de réappropriation qu'avaient entamé les femmes du MLF après mai 1968... Mais ça, je nous le garde pour un prochain Copines d'Avant, OK?
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