A 29 ans, Rebecca Amselle publie Les Glorieuses, Chroniques d'une féministe qui raconte avec humour ses expériences et son combat pour donner aux femmes le sentiment qu'elles peuvent tout faire. 

Vous avez déjà une newsletter, pourquoi avez vous souhaité revenir sur le féminisme dans un livre  ?

Avec ce livre, j’ai voulu montrer comment je suis devenue féministe. Ce n’est pas acquis, on ne naît pas féministe, et surtout on vit dans un système qui véhicule des préjugés sur les féministes.

Quelle est votre héroïne actuelle ?

Ce n’est pas facile de répondre car beaucoup de femmes m’inspirent. Quand j’ai commencé Les Glorieuses, j’aimais énormément Anaïs Nin. Ses journaux m’ont appris à être fière d’être une femme. C’est pour cette raison que j’ai créé Les Glorieuses : pour redonner ce sentiment de fierté aux femmes, et qu’elles puissent se dire « je peux absolument tout faire ».

Vous parlez des clichés du féminisme, comme la représentation de la bourgeoise blanche qui défend ses droits. On découvre que de nouveaux groupes apparaissent comme Lallab, l’association féministe des femmes musulmanes. Comment militer sans tomber dans le communautarisme ?

Pour moi la définition du communautarisme, c’est vivre et partager des valeurs sociétales, religieuses, etc. au sein d’une communauté. Bien sûr il faut voir ce que ça implique. Ce serait naïf de dire qu’aujourd’hui on peut vivre dans une société universelle avec des valeurs qui régissent toute notre société. Et là encore il faudrait définir le terme « universel ». Les communautés font émerger des revendications plus proches de leurs expériences.

Justement quels sont les combats actuels du féminisme ?

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Il y a différents courants dans le féminisme. Moi je fais partie du courant « pro-choix ». Je me bats pour que les femmes aient les meilleures options possibles et que leur choix soit respecté. L’objectif commun est vraiment de créer une révolution des rapports entre les sexes. Faire en sorte de changer ce système où 99% des revenus de la propriété reviennent aux hommes, et seulement 1% aux femmes.1 Tant qu’on sera dans ce rapport profondément inégalitaire, on devra se battre pour nos droits. L’égalité salariale est un combat fondamental, c’est pour ça qu’on a lancé le mouvement du 7 novembre 16h34, puis 3 novembre 11h44 l’année suivante. Au-delà de ça, il y a aussi le combat contre les violences faites aux femmes et faire en sorte que ce ne soient pas les victimes mais les agresseurs qui se sentent coupables.

Pourquoi a-t-on du mal à parler de féminicides ?

On vit dans une société qui a été pensée par et pour les hommes, donc forcément à partir du moment où on critique leur rôle de dominant, il va y avoir des réticences. C’est aussi un problème de représentation. On parle de plus de plus de féminicides dans la presse car la nouvelle génération de journalistes féministes pousse les rédactions à utiliser les mots justes pour décrire une situation.

Entre les différents groupes féministes, quels sont les points de tension ?

Il n’y a pas vraiment de points de tension, car au final on veut toutes la même chose. Cependant comme il y a des hommes qui ne comprennent pas pourquoi le féminisme existe, il y a des femmes qui ne comprennent pas les revendications d’autres femmes car elles ne vivent pas les mêmes expériences. Le problème est de se mettre dans la peau des autres à un moment donné pour comprendre. Ces points de tension montrent que le féminisme est un mouvement très divers et qu’on veut faire émerger une pluralité des points de vue et des expériences où les femmes ne seront plus dominées.

Peu de féministes actuellement défendent la cause des Iraniennes qui refusent de porter le voile. Pourquoi ?

Je me bats pour que le corps des femmes cesse d’être l’objet de commentaires, peu importe qu’elle porte une jupe, un voile ou un chapeau. On s’en fout ! C’est aussi une question de choix : faire en sorte de vivre dans un système où lorsqu’une femme décide de porter un voile ou une perruque, elle est libre de le faire ou non. C’est pour ce choix-là qu’on se bat et les Iraniennes aussi. Elles ne se battent pas pour que tout le monde se découvre la tête. Pas du tout ! Elles se battent pour avoir le choix et qu’on leur foute la paix. Comme je disais, il y a un problème pour se mettre dans la peau des autres. Comme dans tous les courants et mouvements politiques, il y a des courants dominants et d’autres moins. Ensuite ça change.

Lors du débat autour de l’affaire Weinstein, certains ont parlé de puritanisme à l’américaine. Qu’en pensez-vous ?

Parler de puritanisme est une énième excuse pour dédouaner et déresponsabiliser les hommes. L’ensemble des hommes a un rôle à jouer dans l’avènement d’une société égalitaire. On ne va pas gagner la partie juste avec la moitié de l’équipe. Cela n’a rien à voir avec une société puritaine, c’est le fait de créer une société où on respecte les femmes et leur parole. Quand une femme dit avoir été victime d’une agression sexuelle ou d’un viol, il faut arrêter de délégitimer d’emblée sa parole. C’est ce qui s’est passé jusqu’à présent et c’est pour ça qu’il n’y a eu aucune répercussion en France suite à cette affaire. Des femmes ont parlé et leurs agresseurs sont toujours en poste. Certaines doivent démissionner ou ne trouvent pas de travail. Les femmes ne sont clairement pas protégées dans notre système.

Y-a-t-il eu un avant et un après dans les mouvements féministes avec l’affaire Weinstein ?

Il est trop tôt pour le dire. J’espère que ça permettra de générer un élan sociétal pour arriver à une vraie révolution des sexes. Sans cette dernière, on ne pourra pas mener tous les combats, rien ne changera sur le long terme. En même temps j’ai peur que ce soit anecdotique. Par exemple au début du XXème siècle avec les mouvements des suffragettes, c’était très à la mode d’être féministe. Dans tous les diners en ville, les mecs se revendiquaient féministes. Et après l’obtention du droit de vote des femmes, tout est redescendu. Donc tout est possible.

Il y a un débat entre féministes autour de la pénalisation du harcèlement de rue. Quel est votre avis sur la question ?

Je suis d’accord avec les recommandations du collectif Féministes contre le cyberharcèlement et de Paye ta shnek. Ce n’est pas la pénalisation qui va permettre d’endiguer le harcèlement de rue. Dans l’idée c’est une avancée théorique mais un recul pratique, parce que ça ne prend pas en considération la réalité des terrains. Le harcèlement ce n’est pas que dans la rue, c’est dans tous les milieux.

1 Les femmes accomplissent 66% du travail mondial, produisent 50% de la nourriture, mais ne perçoivent que 10% des revenus et détiennent 1% de la propriété.

Source : UNICEF - 2007