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Au hockey, quand le gardien est une gardienne

La plupart des hockeyeuses commencent à jouer, petites, avec les garçons, mais seules les portières ont le droit de poursuivre l’expérience à l’âge adulte. Cela sert-il vraiment la cause féminine? Il y a débat...

Florence Schelling pendant les JO de Pyeongchang, 14 février 2018. — © Brendan Smialowski
Florence Schelling pendant les JO de Pyeongchang, 14 février 2018. — © Brendan Smialowski

En hockey sur glace, le dernier rempart cache son visage sous un lourd équipement. Et parfois, derrière les jambières, la canne large et le masque, le gardien est une gardienne. La saison prochaine, Vanessa Bolinger (19 ans) appartiendra au contingent de la première équipe du HC Coire, en MySports League, la troisième division suisse. Elle sera la toute première Torhüterin parmi les hommes à ce niveau.

Elle se réjouit énormément de son rôle de pionnière, nous confie-t-elle. «Je reste sur une très bonne saison avec les juniors élite B du club, donc j’espérais au fond de moi recevoir une proposition de la première équipe, mais comme aucune femme n’a jusqu’ici joué en MySports League, je ne m’y attendais pas vraiment non plus. Je savoure d’autant plus.»

Discipline virile par excellence avec ses charges et ses coups de sang, le hockey sur glace autorise pourtant ce que presque tous les autres sports d’équipe interdisent: une présence féminine dans une équipe masculine. Faute de structures dédiées aux petites filles, toutes celles qui veulent tâter du puck commencent aujourd’hui avec les garçons.

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Cela ne leur pose pas de problème de différence physique jusqu’à la puberté, mais plus les années passent et plus elles souffrent d’un déficit athlétique. Pour le compenser, les règlements en Suisse autorisent les filles à évoluer jusqu’à 19 ans en novices (la catégorie des 14-17 ans). Elles peuvent encore bénéficier d’une «autorisation exceptionnelle soumises à des conditions strictes» pour évoluer en juniors (17-20 ans). Ensuite, les joueuses de champ ne sont plus admises dans les formations masculines adultes. Mais, puisqu’elles ne sont pas soumises aux mêmes charges, les gardiennes oui.

Outre-Atlantique, plusieurs «goalies» se sont ainsi fait une place dans des équipes d’hommes évoluant dans les ligues professionnelles de second plan. La Canadienne Shannon Szabados fut la première femme dans différents championnats, dont la Southern Professionnal Hockey League en 2013. Sa compatriote Manon Rhéaume a gardé la cage du Tampa Bay Lightening (NHL) lors de deux matches de gala.

© GIAN EHRENZELLER
© GIAN EHRENZELLER

La difficulté de l’intégration

Quelques joueuses de champ aussi ont patiné parmi les hommes, dans des championnats qui l’autorisent, à l’instar des Américaines Hayley Wickenheiser (en deuxièmes divisions finlandaise et suédoise) et Angela Ruggiero (avec les Tulsa Oilers en East Coast Hockey League). L’Américaine Hilary Knight a partagé des entraînements avec les Anaheim Ducks, une autre formation de la meilleure ligue du monde. Mais elles restent des exceptions à la règle: la plupart des hockeyeuses qui brisent le plafond de verre sont des gardiennes.

En Suisse, Vanessa Bolinger creusera le sillon tracé par d’autres avant elle. Florence Schelling, dernier rempart de l’équipe nationale depuis une quinzaine d’années, a joué jusqu’en juniors élite (la meilleure catégorie de jeunes) avec les garçons des GCK Lions, défendant même la cage de l’équipe de LNB du club lors d’un match test. Elle a aussi évolué deux saisons en 1re ligue à Bülach, pour un petit total de 20 apparitions. Pendant les JO de Pyeongchang, le journaliste spécialisé Klaus Zaugg la décrivait comme «la meilleure gardienne du monde», mais même elle se heurte à la difficulté pour une femme de s’imposer comme titulaire dans une équipe d’hommes.

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La future troisième gardienne de Coire en est consciente. «Ma seule inquiétude, c’est de ne pas avoir de temps de jeu en MySports League et de ne pas trouver un club en 1re ou 2e ligue pour compenser, glisse Vanessa Bolinger. Je souhaite réduire autant que possible mon investissement dans le hockey féminin. Mais je ne peux le faire que si je joue assez avec les hommes.»

Ce n’est pas impossible. Au HC Saastal, Sophie Anthamatten vient de disputer sa dixième saison consécutive en 1re ligue masculine (quatrième division). Certains hivers, elle était clairement la numéro 1 à son poste. Ses performances lui ont par exemple permis d’accumuler 31 matches en 2016-2017, et de se faire une place jusque dans les entraînements du HC Viège en Ligue nationale B. «Sur la glace, je me sens très masculine», déclarait-elle dans un reportage que lui a consacré la RTS en 2009.

Deux sports différents

Certains ne se privent pourtant pas de renvoyer les gardiennes à leur statut de femme, estime Laure Aeschimann, présidente du comité du sport féminin au sein de la Fédération suisse de hockey sur glace. «Dans une équipe de garçons, l’intégration d’une fille est toujours quelque chose de délicat. Elle doit se changer à part, donc ne peut pas connaître la véritable vie de vestiaire du groupe. Et elle s’expose à des comportements vraiment pas sympas. On m’a rapporté que les gardiennes qui évoluent avec les garçons s’entendent régulièrement dire des horreurs, ou qu’elles n’ont rien à faire là…»

Habituée à l’exercice depuis «toute petite», Vanessa Bolinger ne craint pas de se retrouver en (extrême) minorité. «Je pense que la situation est en fait plus inhabituelle pour les hommes de l’équipe que pour moi, mais cela ne se ressent qu’au début, le temps que tout le monde s’habitue à croiser une femme dans les vestiaires. De mon côté, je reste exactement la même, que j’évolue avec des femmes ou des hommes.» En revanche, sa préférence est nette pour ce hockey où «le rythme est plus rapide et les tirs plus puissants».

«Je suis vraiment favorable au développement du hockey féminin, et c’est une bonne chose que les ligues féminines s’améliorent, ce qu’elles font clairement ces dernières années, continue la jeune femme de 19 ans. Cependant, en tant que gardienne, je profite davantage avec les hommes, et je pense que tant que tu as la possibilité d’évoluer dans un contexte masculin, il ne faut pas t’en priver…»

Appel d’air dans les championnats féminins

Au-delà des cas individuels, Laure Aeschimann se dit, elle, plutôt défavorable à l’exode des femmes dans des équipes masculines. «Le problème, c’est qu’aux yeux de certaines joueuses, ou de leurs parents, cela représente un certain prestige de passer chez les hommes. En réalité, cela nuit au hockey sur glace féminin, car c’est une manière de dénigrer sa valeur, l’intérêt qu’il représente.»

Le niveau des championnats féminins pâtit également du départ des meilleures Torhüterinnen pour des équipes masculines, ajoute-t-elle. Trois des six équipes de Swiss Women Hockey League A ont dû se tourner vers l’étranger pour faire garder leur cage cette saison. Et si certaines portières jouent en parallèle chez les hommes et chez les femmes, Laure Aeschimann soutient que les allers-retours ne sont pas évidents. «Chez les filles, les tirs peuvent être moins francs, moins forts, mais avec davantage de rebonds et des trajectoires plus imprévisibles. Cela, il faut s’y habituer.»

Cela n’empêche pas Florence Schelling de mener une carrière exemplaire dans le hockey féminin malgré des allers-retours entre les deux mondes. A 19 ans, Vanessa Bolinger a, de son côté, la vie devant elle pour montrer que les femmes peuvent jouer au hockey sur glace. Entre elles, ou dans des équipes masculines.