La mode éco-responsable ? « C’est moche, ça gratte, c’est trop cher, il n’y a pas assez de choix, c’est dur à trouver, il n’y a rien pour les rondes, c’est pour les baba cool…» Faites le test : c’est, en gros, ce qu’en pensent celles qui n’ont jamais mis les pieds dans une boutique ou cliqué sur un site de green fashion. Et pourtant, de nombreux « consommac’teurs » comme on appelle cette clientèle engagée, ont pris conscience des conséquences de la « fast fashion », ce prêt-à-porter jetable, de piètre qualité, fabriqué à très faible coût, dans des ateliers lointains. Et qui se renouvelle de plus en plus vite. « Il y a vingt ans, les distributeurs proposaient deux collections de prêt-à-porter par an : printemps-été et automne-hiver. Aujourd’hui, certaines marques renouvellent leur collection, avec de nouvelles pièces en boutique chaque semaine, pour que les consommateurs viennent régulièrement » constate Majdouline Sbai, sociologue spécialiste de l’environnement, auteure de "Une mode éthique est-elle possible ?" (1). Conséquence, nos placards débordent de vêtements neufs parfois jamais portés. Un coûteux gaspillage, qui avouons-le, nous fait culpabiliser : « Nous le savons, ce que nous achetons est souvent de piètre qualité et produit dans de mauvaises conditions », souligne Majdouline Sbai. De plus, cela nous oblige à sacrifier un budget important à des produits qu’on ne porte même pas. Comme pour le gaspillage alimentaire. »

En tous cas nous ne pouvons plus l’ignorer depuis la catastrophe du Rana Plaza, à Dacca au Bengladesh, un nom devenu tristement célèbre il y a cinq ans dans le monde entier. L’effondrement de cet immeuble bourré d’ateliers de confection textile avait causé la mort de 1133 personnes, principalement des femmes,  et fait plus de 2 500 blessés. Mais la fast fashion n’est pas seulement dangereuse pour les ouvriers qui la fabriquent. « La mode, en raison de sa surabondance est la deuxième industrie la plus polluante du monde après l’extraction pétrolière», poursuit Majdouline Sbai.

Quelques chiffres qui font froid dans le dos :

Vidéo du jour
  • Produire un tee-shirt en polyester (fibre synthétique dérivée du pétrole) génère 5,5 kilos de gaz à effet de serre , contre 2,1 kilos pour un tee-shirt en coton (fibre végétale).
  • Un jean et ses composants parcourent en moyenne 65000 kilomètres, soit 1,5 fois le tour de la Terre. Cela équivaut à l’utilisation de 25 litres de pétrole. Et entre 7 000 et 11 000 litres d’eau sont nécessaires, l’équivalent de 285 douches

fashion revolution france Drague. Créatrice Rosie Browning. (Thomas Ebélé / SloWeAre / Fashion Revolution France)

Chaque année, à la date anniversaire de la tragédie du Rana Plaza, le Fashion Revolution day est célébré dans plus de 130 pays dont la France, dans des lieux éco friendly comme la friche des Grands Voisins et la Fondation GoodPlanet à Paris.

Défilés, débats, initiatives inspirantes à partager sur les réseaux sociaux… chacun est incité à acheter ses vêtements autrement et à s’interroger sur le processus complexe de fabrication de la mode. Quel chemin a suivi ce jean, ce petit haut, cette robe, pour arriver jusqu’à nous, depuis le cultivateur de la matière première, en passant par le filateur, le tisseur, l’ouvrière penchée sur sa machine à coudre, le transporteur, le distributeur… L’idée forte de la Fashion Revolution: que les consommateurs interpellent les marques en exigeant la transparence sur la composition et la fabrication de leurs vêtements. En avril dernier, chacun a été invité à choisir une pièce dans son dressing, à faire un selfie avec l’étiquette apparente et à interpeller la marque en postant la photo sur les réseaux sociaux avec le hashtag #WhoMadeMyClothes (qui a fabriqué mes vêtements ?)

T-shirt engagé "Who made my clothes" (qui a fait mes vêtements?). A droite, Isabelle Quéhé, co-organisatrice du défilé de la Fashion Revolution.(Photo Corine Goldberger).

« De plus en plus de femmes souhaitent acheter moins, mais mieux, et surtout des vêtements qui ont du sens. On ne peut pas se sentir bien, élégante dans de la mode jetable. Elles sont prêtes à dépenser plus pour une pièce qu’elles vont vraiment porter, garder plus longtemps, et qui raconte une histoire qui leur plait d’un point de vue éthique », remarque Majdouline Sbai »

En plein essor, le marché des achats de seconde main, participe aussi de la mode éco-responsable : « En les revendant, cela allonge la durée de vie des vêtements, permet de créer de l’activité économique. Si on y inclut les achats de seconde main sur des sites collaboratifs (Market Place sur Facebook, vestiairecollective.com, videdressing.com, etc ) où le marché continue à se développer, à se professionnaliser, il est clair qu’on n’a alors pas affaire à un phénomène marginal mais à une tendance de fond qui s’installe, poursuit Majdouline Sbai. Près de la moitié des Françaises ont déjà acheté un vêtement d’occasion. En 2027, la vente de vêtements de seconde main représentera un chiffre d’affaires plus important que le prêt-à-porter neuf.» 

A la Fashion revolution, on a aussi beaucoup parlé « upcycling ». Cela revient à créer une nouvelle pièce à partir d’un tout autre vêtement, ou de déchets textiles pour éviter le gaspillage.

Ainsi, Claire Dartigues (passée par Chloé, Christian Louboutin…) a créé une collection à partir de chemises de banquiers new yorkais, teintes avec des produits naturels. Elle a aussi récemment travaillé avec la marque Vent de Voyage, qui récupère des voiles de bateau pour en faire des accessoires, comme le sac en voile et lin montré lors du défilé de la Fashion revolution. «Je travaille toujours dans l'idée de récupérer des matériaux pour en faire quelque chose de nouveau. Mais il est important que ce que je crée soit avant tout moderne, élégant et utile avant d'être éthique car un produit qui n'intéresse pas n'a pas de sens même si il est éco - responsable.» De son côté, Monia Sbouaï, fondatrice de Super Marché transforme des vêtements de seconde main pour créer des collections assemblés dans des ateliers de couture qui permettent l’insertion professionnelle à Paris et à Saint-Denis. «l’idée, utiliser des vêtements existants pour proposer un vestiaire moderne fabriqué dans des conditions de travail bienveillantes. »

Combinaison bleue, Super MarchéCombinaison, Super Marché.

Pour autant, la mode éco-responsable, durable, ou « slow », a-t-elle le vent en poupe, et séduit-elle les folles de mode, au delà des consommatrices militantes et engagées? Les avis sont partagés. « L’adoption d’un mode de consommation plus éthique est souvent perçue comme une punition, constate Majdouline Sbaï. Beaucoup ont des préjugés, et s’imaginent tout de suite en combinaison de chanvre. Mais l’offre s’est enrichie, et les attentes du marché ont évolué : les deux tendances se rencontrent, et on trouve à présent des collections contemporaines, dans l’air du temps, même s’il est difficile de connaître le chiffre d’affaires global du secteur.»

Une mode qui n’est plus réservée aux écolos pures et dures. Les fashionistas ont bien sûr repéré les créations de Stella McCartney et Vivienne Westwood (premières stylistes engagée pour une mode durable).

Eva Zingoni est l’une des rares créatrices françaises du secteur issue de la voie royale de la mode, - Studio Berçot, lnstitut Français de la Mode, et venue du luxe, via Balenciaga. Elle donne une deuxième vie aux tissus inutilisés de maisons de couture parisiennes, une fois leurs collections terminées. Elle utilise donc des tissus d'une qualité exceptionnelle mais aussi des fils, boutons, fermetures, chûtes de cuir qui lui permettent de recréer ensuite ses propres collections. Pour elle, la mode durable restera plus ou moins confidentielle tant qu'elle ne répondra pas mieux aux attentes du grand public. « Il y a bien un intérêt grandissant pour la mode éco-responsable, comme on l’a vu lors de la Fashion revolution en avril. Mais l’enthousiasme médiatique et sur les réseaux sociaux pour la « mode slow », durable, ne se traduit pas assez par des succès commerciaux, parce que  l‘offre éthique n’est pas encore assez développée pour satisfaire les besoins des actives qui ont besoin de tailleurs jupes ou pantalons pour le bureau, et de pièces facilement lavables. Et puis il y a encore un décalage entre la mode durable, et les attentes des clientes en terme de style. Ce n’est pas parce que beaucoup de femmes ont une conscience écolo qu’elles sont prêtes à renoncer à l’élégance contemporaine, au style, et même aux looks sexy, pour les vacances et les soirées.» D’autant que changer ses habitudes d’achat est un processus lent, intime. « Le vêtement, c’est d’abord des messages qu’on envoie sur soi-même, notre carte de visite. Je l’ai souvent dit, la mode doit rester un plaisir. Pas question de culpabiliser les femmes.» 

Autre frein à l’achat, la difficulté pour les clientes novices de s’orienter dans l’offre green. Les marques qui pourraient tirer leur épingle du jeu, d’abord celles du prêt-à-porter où les femmes ont déjà leurs habitudes. Des enseignes s’engagent dans le coton bio en petites collections, l’économie circulaire et le recyclage des vêtements. « Mais attention au « green washing » (du marketing vert peu exigeant sur l’ensemble de la chaîne de production), prévient Eva Zingoni. D'autant que la jeune génération veille au grain... «La prise de conscience des marques grand public, encore insuffisante certes, est née grâce aux millenials, très présents et engagés sur les réseaux sociaux, et pas les derniers pour dénoncer les abus des enseignes, constate Nathalie Rozborski, directrice générale de la société de conseil en innovation et en création Nelly Rodi. Si j’étais cynique, je dirais que le prêt-à-porter qui n'est ni éthique ni propre risque désormais un tollé sur les réseaux sociaux, et c’est la seule raison d'ailleurs pour laquelle les marques se réveillent. Sinon elles continueraient à pratiquer des marges indécentes en exploitant des ouvriers clandestins ou des enfants.»

 Dénicheuse de tendances et bonnes adresses éco-responsables, Manon Quinti, créatrice du blog Happy new green constate de son côté qu’acheter de la mode éthique n’est pourtant pas encore une démarche évidente : « La question la plus fréquente posée par mes lectrices: « Je veux m’habiller éco-responsable, mais je ne sais pas où trouver les marques ». « Avez-vous une bonne adresse pour dénicher un joli perfecto en cuir végétal ? Je suis vegan.»   «Je cherche un pantalon noir basique pour le bureau. Ca existe, un « Zara complètement éco-responsable ? » Pas encore, certes, mais nous avons fait l'expérience. On trouve vite des basiques et des pièces élégantes et intemporelles quand on est motivée.

Et on en trouvera de plus en plus... «Acheter de la mode durable, ce n’est pas un épiphénomène qui concerne trois branchées et deux bobos du marché d’Aligre, martèle Nathalie Rozborski. C’est même un prérequis absolu pour les jeunes générations.»  La fin de la fast fashion?  «Aujourd’hui on arrive à la fin d’un système, poursuit  Nathalie Rozborski. Ce qui ne veut pas dire qu’on est dans la déconsommation. On ne va pas acheter moins, mais différemment.»   Pour cette humeuse de l'air du temps, certaines enseignes grand public sont parfois plus engagées que les stylistes qui travaillent pour un marché élitiste. Comme la marque espagnole Oysho,  (35 boutiques dans le monde), qui utilise une fibre qui réutilise la totalité de l'eau obtenue à partir du bois en provenance de forêts gérées de façon durable. La marque crée aussi des maillots de bain, qui contiennent du polyamide recyclé, obtenu à partir de filets de pêche usagés, de chutes de tissu, d'anciennes moquettes… «Ce qui ne les empêche pas d'avoir un joli design. La création éco-responsable  n’est plus uniquement le pré carré de quelques intellectuels de la mode, conclut Nathalie Rozborski. La fashion revolution, passera forcément aussi par les grandes enseignes car ceux qui habillent la masse, c’est Promod, Camaïeu, Decathlon, etc., pas juste Stella Maccartney ou Vivienne Westwood...» 

1) "Une mode éthique est-elle possible". Editions rue de l’Echiquier

Le carnet mode éco-responsable

Boutiques, plate-formes, une liste (non exhaustive) de bonnes adresses éco-responsables

  • Sloweare cette plateforme répertorie de nombreuses adresses et marques
  • Ekyog : des boutiques dans toute la France.
  • Front de Mode : créé par la styliste engagée Sakina M’sa : 42 rue Volta, 75003 Paris.
  • Valentine Gauthier
  • Wanted Gina
  • Veja, baskets issues du commerce équitable.
  • Bleu de chauffe (sacs en cuir végétal)
  • 1083: des jeans fabriqués à moins de 1083 km de chez vous, contre 65 000 en moyenne pour un jean classique.
  • Valérie Pache: robes de mariées.

Upcycling

L’Agenda mode éco-responsable

Roubaix : Fashion green days, le 1er Forum de la Mode Circulaire: 24, 25 mai 2018, à l'ENSAI,  l’Ecole des Ingénieurs textile.
L'association Nord Créa organise un forum dédié à la mode « circulaire » et éco-conçue. 600 000 tonnes de textiles, linge de maison, chaussures sont mis sur le marché en France chaque année. Une partie des déchets textiles est encore jetée alors qu’ils pourraient être, selon leur état, réemployés, réutilisés ou recyclés. Tous les acteurs du secteurs sont invités à exposer leurs innovations et à partager leurs réflexions sur la réduction de l'impact écologique de la production textile, le recyclage des fibres, ou les futurs business models du secteur.70 exposants, 30 conférences…

Londres : Fashioned from Nature , au Victoria and Albert Museum, jusqu’au 27 janvier 2019
L’exposition qui retrace quatre siècles d’évolution de la mode, inspirée par la puissance et la beauté de la nature, dénonce les effets dévastateurs de l’industrie du textile et son impact sur notre environnement.