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Découvertes

Alice Guy-Blaché et Lois Weber, ces femmes visionnaires qui ont marqué l'histoire du cinéma il y a 100 ans

Au début du XXe siècle, deux femmes, une Française et une Américaine, ont largement participé à la naissance de l'industrie cinématographique à Hollywood. Pourtant, elles ont presque été effacées de l'Histoire. Explications.

La réalisatrice et productrice américaine Lois Weber dictant un scénario à sa secrétaire dans le jardin de sa maison en mai 1926.
La réalisatrice et productrice américaine Lois Weber dictant un scénario à sa secrétaire dans le jardin de sa maison en mai 1926. Bettmann / Contributeur
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En octobre 2017, l’affaire Weinstein attirait l’attention de l’opinion publique sur la condition féminine dans l’industrie cinématographique. Et outre les nombreux témoignages de harcèlements et d’agressions sexuelles, ces révélations permettaient aussi de libérer la parole pour la lutte contre les inégalités femmes-hommes, notamment salariales, à Hollywood et ailleurs.

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Mais si être une femme actrice, réalisatrice ou productrice paraît aujourd’hui relever du parcours du combattant au vu de ces discours, la situation était loin d’être la même il y a un siècle. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, Hollywood a d’abord été en partie créé par des femmes, avant de devenir le milieu patriarcal qu’on connait. La preuve avec les portraits de deux femmes qui ont marqué l’histoire du cinéma, Alice Guy-Blaché et Lois Weber.

Alice Guy-Blaché, la pionnière française

Vendredi 30 mars, la réalisatrice Pamela Green était de passage à Paris pour présenter la bande-annonce de son documentaire "Be Natural: The Untold Story of Alice Guy-Blaché" lors d’un colloque sur "le rôle des productrices cinématographiques françaises" organisé à l’Institut national de l’histoire de l’art auquel Mashable FR a assisté. Depuis huit ans, cette Américaine travaille à retracer la vie et l’héritage de l’une des premières, si ce n’est la première femme réalisatrice au monde.

En 1895, Alice Guy, Française de 21 ans, devient la secrétaire d’un certain Léon Gaumont, fondateur de la société du même nom qui ne vend alors que des appareils photo. La même année, la jeune femme assiste à l’une des toutes premières projections privées des frères Lumière qui déclenche en elle l’envie de raconter des histoires. En 1896, elle réalise ainsi "La Fée aux choux", un petit film muet d’une minute qui serait selon certains le plus ancien film de fiction jamais tourné, peut-être même avant ceux de Georges Méliès.

Jusqu’en 1907, Alice Guy réalise des centaines de films pour Gaumont parmi lesquels "La Vie du Christ", une vraie superproduction pour l’époque avec 25 scènes, 300 figurants et de nombreux tournages en extérieur.

"Une visionnaire de la même trempe que James Cameron ou Elon Musk"

"Elle a créé l’un des premiers films avec un gros plan, réalisé des films en son synchronisé dès 1902 et est en grande partie responsable de la naissance et de la croissance du studio de production Gaumont à Paris", raconte Pamela Green, qui n’hésite pas à comparer la réalisatrice aux visionnaires de notre époque que sont Bill Gates, James Cameron ou Elon Musk.

En 1907, Léon Gaumont envoie Alice Guy et son mari Herbert Blaché aux États-Unis pour développer les activités de Gaumont outre-Atlantique. Là-bas, la réalisatrice française marque une nouvelle fois l’histoire du cinéma en fondant sa propre société de production, Solax. En 1910, elle investit 100 000 dollars pour construire ses studios à Fort Lee, dans le New Jersey, berceau de la motion picture avant Hollywood, non loin de ceux d’un certain Carl Laemmle, fondateur des studios Universal.

Aux États-Unis, Alice Guy-Blaché poursuit son travail de pionnière en donnant à des femmes les rôles principaux de ses films d’action où elle les incite à faire leurs propres cascades ou en tournant le premier film au casting 100 % afro-américain connu à ce jour. En tout, elle aurait écrit, réalisé ou produit autour de 1 000 films en 20 ans de carrière. Mais après son divorce et son retour en France en 1922, Alice Guy-Blaché tombe presque complètement dans l’oubli.

L’histoire ne dit pas si, avant de quitter les États-Unis pour la France, Alice Guy-Blaché a croisé la route de Lois Weber. Pourtant ces deux femmes auraient eu beaucoup de choses à se dire.

Lois Weber, la pionnière américaine

"Vous ne savez sans doute pas qu’il y a 100 ans, le film le plus rentable de l’époque chez Universal était un film sur l’avortement et la contraception. Et vous ne me croirez peut-être pas si je vous disais qu’il a été réalisé et produit par une femme", lâche la journaliste et professeure à l’université de Californie Shelley Stamp, lors de son intervention au même colloque cité plus haut. Ce film-là, c’est "Where are my children", un long métrage muet d’une durée d'une heure écrit, réalisé et produit par Lois Weber en 1916.

D’abord actrice, cette Américaine est passée derrière la caméra dès 1905, alors qu’elle n’avait que 26 ans. Elle devient notamment la première femme de l’histoire des États-Unis à réaliser un long métrage en adaptant sur grand écran la pièce de théâtre "Le Marchand de Venise" en 1914.

Des films sur la peine de mort ou l'avortement

À l’époque, Lois Weber est l’une des femmes réalisatrices les plus célèbres et les mieux payées d’Hollywood. Et si sa carrière mérite qu’on s’y attarde, c’est aussi pour les sujets particulièrement engagés et progressistes des films qu’elle réalise et produit. Parmi les 200 films créés en 30 ans de carrière, Shelly Stamp, auteur du livre "Lois Weber in Early Hollywood", évoque ainsi "The People vs. John Doe" sur un homme condamné à mort malgré des preuves infondées, "Hop, the Devil’s Brew" sur la toxicomanie, "Shoes" sur la pauvreté et la prostitution, ou "Where are my children" sur l’avortement.

Un Girl's Studio Club pour former les femmes

Son talent est salué par la critique comme par ses confrères. À tel point qu’en 1917, la Motion Pictures Directors Association – ancêtre de la Directors Guild of America – fait changer ses conditions d’admission pour faire de Lois Weber son premier membre féminin. À la même période, la réalisatrice et productrice fonde le "Girl’s Studio Club" pour former et soutenir d’autres femmes réalisatrices.

Pourquoi ces femmes ont-elles disparu ?

Pourtant en 1939 lorsque Lois Weber meurt, le magazine Variety ne lui consacre qu’une brève dans ses colonnes…  Mais alors pourquoi ces femmes à l’influence pourtant reconnues ont-elles disparu de nombreuses rétrospectives sur l’histoire du cinéma ? Et comment Hollywood s’est-il mué en univers patriarcal malgré ces débuts émancipateurs ?

"Les femmes ont créé Hollywood, puis elles en ont été évincées"

Pour Mark Lynn Anderson, professeur en études cinématographiques à l’université de Pittsburgh, où a grandi Lois Weber, c’est le passage d’une industrie libre et sans structure au système organisé des studios qui a poussé les femmes à l’écart des rôles éminents. "L’industrie du film était moins organisée à ses débuts, donc les femmes étaient autorisées à occuper n’importe quelle fonction créative ou administrative", a-t-il récemment expliqué au média local Pittsburgh Post-Gazette.

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"Les femmes ont créé Hollywood, puis elles en ont été évincées. Et maintenant, elles remontent lentement la pente", réagit Franck Weber, directeur du développement chez Gaumont et intervenant lors du colloque sur le rôle des productrices cinématographiques. "Les noms des productrices des années 1960 à 2000 se comptent sur les doigts d'une main. Et puis début 2000, on a vu émerger en France toute une nouvelle génération de femmes productrices à la progression irrésistible."

Et cette nouvelle génération de productrices, présente en nombre ce jour-là dans l’auditorium de l’Institut national d’histoire de l’art avec Christine Gozlan ("Fauteuils d’orchestre"), Catherine Bozorgan ("Aurevoir là-haut") ou Anne-Dominique Toussaint ("Les Beaux Gosses"), déplore à l'unisson l’absence de modèles de référence dans une profession souvent associée à "l’image d’un homme bedonnant avec un cigare". D’où l’importance de rendre visibles les parcours d’Alice Guy-Blaché, de Lois Weber et de toutes celles qui leur ont succédées pour en inspirer d’autres.

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