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"Les traditions religieuses ont toujours eu un problème avec la femme"

Delphine Horvilleur en décembre 2015.
Delphine Horvilleur en décembre 2015. © JOEL SAGET / AFP
Interview Clotilde Costil , Mis à jour le

Dimanche, le rabbin Delphine Horvilleur s’est exprimée dans le cadre du Festival Solidays. Celle qui se définit comme «juive et féministe» questionne la place des femmes dans les religions.

Paris Match. Pourquoi intervenir au festival Solidays plutôt qu’un autre?
Delphine Horvilleur. Je trouve que c’est une mobilisation humaine remarquable, notamment par le nombre de bénévoles que ce festival mobilise. Ce sont des initiatives qui montrent bien la possibilité d’oeuvrer collectivement, de mobiliser des gens comme une entreprise humaine de grande envergure, et je trouve qu’on a besoin de ce genre d’évènements. Les personnalités qu’ils ont invitées venaient de mondes tout à fait différents. Il y avait des militants, des chefs, des philosophes, des gens qui ont des parcours extrêmement variés et ça dit bien la diversité des visages et des engagements qui peuvent proposer ensemble un élan collectif de partage. Je trouve que cela s’inscrit dans la veine de «Solidays» : personne ne doit être doit être dans l’isolement, que ce soit l’isolement créé par la maladie ou par la différence. De plus, la lutte contre le VIH est un sujet auquel j’ai été sensibilisée en oeuvrant au Conseil national du sida de 2012 à 2014.

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En quoi votre message —la place des femmes dans la religion— a-t-il eu un écho particulier avec celui porté par les Solidays?
On m’a demandé de parler de la question des religions et de la misogynie, qui est un sujet assez classique et intemporel. Les traditions religieuses ont toujours eu un problème avec la femme. Le problème que pose la femme aux traditions religieuses, c’est le problème de l’altérité. Cette question est directement liée au combat des Solidays selon moi. Les sujets de l’inclusion, de la visibilité et de la place faite aux personnes contaminées par le virus, ou aux personnes malades, vont dans le même sens.
Est-ce qu’on peut ou pas faire de la place à l’autre dans un système, dans une famille, dans une société ou est-ce qu’on s’enferme en faisant tout ce que l’on peut pour ne pas donner de visibilité à l’autre? Est-ce qu’on a peur d’être «contaminé» par l’autre? Et cette peur crée des barrières qu’on ne peut plus dépasser. Pour moi, cette question se décline dans la question religieuse du rapport aux femmes parce que souvent on les perçoit comme des agents subversifs, de contamination ou d’impureté.

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"Les pensées religieuses comme les pensées politiques et militantes ont besoin d’être dépoussiérées et questionnées"

Vous disiez lors de votre intervention que si on ne fait pas de place à la femme dans la société, on ne fait pas de place à l’autre. Pensez-vous que la libération de la parole féminine et le féminisme vont aussi amener une libération de la parole de minorités victimes de discriminations?
Je crois que c’est un mouvement sur lequel il n’y a pas de demi-tour possible. A partir du moment où on se dit prêts à entendre la parole de l’autre, cet autre peut prendre plein de visages. Celui de la femme peut être aussi celui de ceux qui ont été un peu à la périphérie du système, aliénés ou dont on n’a pas voulu entendre la voix; tous ceux qui incarnent l’étranger ou l’étrangeté dans notre société. Tout à coup on a envie d’entendre leur voix mais aussi de les voir participer à un débat plus large où on ne parle pas en leur nom, mais on parle avec eux. 
Après, tout phénomène inédit dans l’histoire crée une chose et son contraire. Vous avez des gens qui disent qu’il faut faire évoluer les repères et d’autres qui vont vous dire, dans un temps de changement, qu’il faut stabiliser. Dans une époque comme celle-ci, on va voir aussi de plus en plus fortement s’élever des vents de conservatisme parce qu’il y a quelque chose qui fait peur dans le changement des repères, du monde. Les voix progressistes et conservatrices naissent en parallèle. On ne sait pas encore lesquelles prendront le dessus, c’est trop tôt pour le dire.

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Interview : Pour Delphine Horvilleur, «le passé est loin d’avoir été un paradis»

N’est-ce pas trop difficile pour vous d’être une femme rabbin au quotidien?
De ce point de vue-là c’est un défi à relever mais à la fois j’ai l’impression d’être soutenue par beaucoup de personnes. J’ai aussi le sentiment qu’on est dans une société où les gens ont envie d’être témoins de modèles qui ont brisé des stéréotypes, qui font bouger les lignes. C’est vrai qu’avec le monde religieux, il y a un niveau de complexité supplémentaire. Moi je ne me définis pas comme juive féministe. Je suis juive et féministe, ça veut dire que je n’essaie pas de trouver à tout prix du féminisme dans mes textes ou dans la tradition religieuses. Mais je pense que mon regard de féministe peut contribuer beaucoup à l’interprétation de ma tradition et à faire qu’elle soit aujourd’hui vivante et pertinente. C’est un défi qui est lancé à nos pensées religieuses de faire que la voix de l’autre puisse être aujourd’hui entendue et respectée. 
Car la religion, certains la perçoivent comme le domaine de l’immuable et de l’absolu. Je crois au contraire que les pensées religieuses comme les pensées politiques et militantes ont besoin d’être dépoussiérées et questionnées. Je pense qu’il y a aujourd’hui beaucoup de gens qui ont à coeur d’interroger leurs traditions religieuses, particulièrement dans un temps où la pensée religieuse sert de support aux pires violences. Il y a beaucoup de gens qui sont bien décidées à ne pas la laisser kidnapper par des voix intégristes.

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